Sunday, April 26, 2009

Anwar Ridhwan : L’AUTRE RIVE

(Note : As the typist of this entry is not familiar with French writing symbols, this entry may contains some spelling /symbols errors – Nur Aliaa)

Roman/Traduit du malais par François-Rene Daillie/ Les Editions Federop, Eglise-Neuve d’Issac, 24400 Mussidan,1989/ ISBN 2.85792.066.0

L’AUTRE RIVE : un vieux sorcier malais, naguére charmeur de crocodiles, banni depuis vingt-cinq ans de son village sur l’autre rive d’un large fleuve. Un crocodile mangeur d’enfants. Deux jeunes homes de la ville, un intellectuel ‘anarchiste’ et un banquier ‘sérieux’ que poursuit malgré lui la rumeur de sa participation a un scandale financier. Tels sont les principaux protagonists d’une chasse nocturne sur le fleuve qui s’achévera par l’extermination de la bete féroce mais aussi par la mort du vieux “pawing”. Mais pour le jeune banquier, la rumeur un instant oubliée ne s’éteint pas pour autant, il lui faudra s’armer de patience pour cette longue traverse et, en bon Musulman, de confiance en la miséricorde divine.
Ce roman bref et dense nous transporte, dans la nuit primitive, sur ce fleuve perdu dans la jungle, au Coeur des contradictions et des conflicts de la Malaisie d’aujourd’hui qui se cherche entre la survivance des croyances et des traditions ancestrales et son développement accéléré a l’occidentale où elle risqué de perdre son âme.
Né en 1949 dans un villade du Selangor, Anwar Ridhwan est l’un des écrivains malais les plus doués de sa énération, auteur de deux recueils de nouvelles, de poems et de deux romans couronnés par divers prix littéraires. Sans doute l’art de la nouvelle est-il a l’origine de son gout pour la simplicité de l’expression et une concision dans le récit qui favorise l’affleurement du non-dit [François-Rene Daillie, 1989].
AVANT-PROPOS
[The jump, Katka had said, would bring you to the other shore – Antigone Kefala].

Si j’ai donné a la traduction française de ce roman un titre different du titre original, c’est sans nul doute en premier lieu parce qu’il m’a semblé que celui-ci – Arus: Courants – avait moins de chances d’attirer chez nous l’attention du lecteur que dans son pays d’origine. Mais je trouvais surtout qu’il n’évoquait pas le côté a mes yeux le plus important du livre. Le titre malais a une resonance sociale certain, en rapport avec certains traits de la Malaisie d’aujourd’hui, certains problems propres aux Malais dans le processus d’évolution qui en transformant leur pays a modifié et continue de modifier profondément leur mode de vie et, plus lentement peut-étre, de pensée. Mais de livre, justement, on s’en rend vite compte, va au-dela de cet ici-et-maintenant.
Le titre que j’ai préféré lui donner, en plein accord avec l’auteur, sans rien exclure de ce qui precede, est en liaison étroite avec la letter et l’esprit du roman et témoigne de preoccupations philosophiques et religieuses visible dés les premiéres pages. Ce titre s’impose d’ailleurs tout naturellment : le mot malais correspondant est omnipresent dans le livre. Le jour où je confiai a Anwar Ridhwan mon intention de changer de titre, son visage d’abord inquiet s’éclaira et s’épanouit lorsqu’il comprit ce que voulait dire ‘L’autre rive’.
Dans cette société malaise en pleine evolution, les different courants qui coexistent, entre le passé le plus traditional et les tendances modernistes le plus affirmées, en passant par ce que d’aucuns appellant ici la resurgence de I’Islam, sont aussi contrastés que les figures du vieux sorcier, charmeur de crocodiles et de son antagoniste Lebai Amrah, le responsible de la mosque , ou de Muslim, l’économiste, cadre dans une banque, et de l’intellectuel Salleh, professeur d’université. Fùt-ce de ce seul point de vue, on sent que bien des gens aspirant, dans ce pays, a cette autre rive encore lointaine que représenterait une nation plus harmonieuse dans sa diversité ethnique, unie autour d’une meme langue et d’objectifs communs.
Ce livre bref et dense en dit dien plus qu’il n’y paraît a premiére vue sur les courants qui animent et divisent la société malaysienne d’aujourd’hui. Roman d’un Malais, dont les personages sont tous malais et où les problems abordés ou évoqués sont des problems propres aux Malais, il faut bien le voir dans le context – implicite – qui est le sien.
On ne peut en saisir les connotations socio-politiques sans avoir presents a l’esprit au moins quelques données démographiques et économiques de base. D’abord, la structure multiraciale de cette société dont les trois elements principaux s’intégrent difficilement les uns aux autres : d’aprés les chiffres officiels, a peine un peu plus d’un habitant sur deux est malais, mais la Constitution reserve aux Malais l’essentiel du pouvoir politique, Chinois et Indiens n’y étant associés que par le biasis de leurs partis dans l’alliance au pouvoir depuis l’indépendence. Ensuite le fait qu’a cette époque-la, il y a trente ans, la richness nationale était entiérement entre les mains des étrangers et surtout des riches Chinois, a l’exception de ce que prélevaient sur elle l’Etat et les familles princiéres.
C’est seulement après les émeutes raciales de 1969, avec la Nouvelle Politique Economique décidée par l’alliance, qu’un effort fut accompli – quells que puissant en étre les insuffisances ou les excés – pour permettre a un plus grand nombre de Malais d’accéder a l’enseignement secondaire et supérieur grace a l’octroi de bourses, a la creation d’institutions et d’organismes specializes, et surtout au remplacement progressif de l’anglais par le malais comme langue d’enseignement a tous les niveaux, tandis qu’on prenait des measures pour faire passer entre les mains des Malais une part – encore mineure et sans doute fort inégalement repartee – de la richesse nationale.
Je simplifie énormément, cela va sans dire, mais c’est avec cela au moins comme toile de fond qu’il importe de lire ce roman et d’en saisir les personages, ceux de Muslim et de Salleh en particulier.
Vu d’Europe, ce dernier risqué de sembler un peu artificial, non tant a cause de ses fantaisies vestimentaires que de ce qu’elles peuvent avoir d’accidental, justement, non tant a cause de ses citations de Sartre et de Beckett ou plutôt de ses allusions a telle de leurs oeuvres que de leur apparition Presque hors de propos, en tout cas sur simple jeu de mots, du seul fait que la parte du vieux sorcier semble fermée aux deux compéres, ou qu’il leur faut attendre longuement, non point Godot mais le crocodile.
Mais n’exagérons pas : ces rapprochements verbaux entre des titres et des situations passent fort bien entre nos deux amis de la capital. De fait, a l’époque du récit, celle aussi de sa composition, avaient été données des representations de Huis-Clos en malais. Quant a Beckett, rien d’étonnant a ce que Salleh, professeur de literature anglaise, ait pu le lire en traduction.
En tant qu’intellectuel, Salleh appartient a une couche assez mince de la classe moyenne malaise, étant de ceux qui ont eu les moyens de frequenter une école de langue anglaise locale et faire au moins une partie de leurs etudes dans une université du Comminwealth ou des Etats-Unis – ici, un doctorat en Australie.
Rien de surprenant toutefois a sa presence – et a celle de Muslim – dans ce lointain village : ces jeunes intellentuels malais brusquement occidentalisés sont ceux de la premiére generation, ils sont pour la plupart nés au kampong, où vivent encore leurs parents, et quell que soit l’abîme qui sépare les deux modes de vie et de pensée, les liens sont toujours trés étroits et l’on manqué rarement de retourner au pays natal a l’occasion des fétes traditionnelles.
Ce qui peut sembler chez Salleh plus caricatural, meme si de toute evidence la chair est son péché mignon, ce sont ses reactions dans ce domaine : car a peine apprend-il la presence d’une “oie blance” chez le vieux sorcier, que le voila dans tous ses états, a plus forte raison lorsque au retour de la chasse tragique il la prend un instant dans ses bras pour la consoler.
Si Salleh semble se raccrocher un peu aux valeurs de l’Islam, c’est a l’heire du danger, pregnant conscience de ses péchés dans une poussée soudaine de repentir. Mais on sent le vieux fond assez bien ancré chez cet ‘anarchiste’ – marquee sans doute plus qu’en surface par les valeurs (ou non-valeurs) de l’Occident d’aujourd’hui – pour signaler sa presence sous-jacente aux moments de vérité.
Muslim est different. Sans doute représente-t-il l’idéal de l’auteur, non en tant qu’artiste bien sur, mais en tant que citoyen, que Malais et que Musulman. Méme s’il a séjourné lui aussi a l’étranger – simple stage a New York dans une banque, peut-atre – il se veut malais avant tout, profonément malais et, comme son nom l’indique, musulman. Mais sans excés. Etre malais, c’est etre musulman bien sur – equation ici fondamentale – mais chez lui sans aucune tendance a l’intégrisme, dans l’esprit le plus traditionnel de l’Islam en Malaisie. Comme Muslim le dit a safemme, ‘les enseignements de l’imam du village sont restés graves dans son coeur.’ Et en tant que Malais, il lui rappelle également que tout en étudiant les sciences économiques, il a lu les oeuvres des Burhanuddin, Boestamam et autres ardents nationalists de la fin del’ére colonial. “Je ne crois pas avoir cessé d’aimer mon people et mon pays.’ Par son exactitude, son assiduité, son sérieux au travail, ‘il voulait montrer aux employés de sa race qu’un Malais pouvait travailler dur’ – aussi dur qu’un Chinois, s’entend!
Pawang ‘Kri, le ‘sorcier’, redoubtable chasseur de crocodiles a mains nues, personage a part, banni de son village depuis vingt-cinq ans, représente avec sa fille – indirectement en quelque sorte – la société rurale malise traditionnelle mais rurale fait pléonasme car cette société l’est par essence – dont font encore partie le bomoh, le magician, capable de maléfices et vivant souvent a l’écart, et le pawang, plutôt chamane et guérisseur.
L’Islam, fermement établi chez les malais depuis le XIVéme siècle, a succeed a prés de mille ans d’hindouisme. Mais ces deux religions, meme l’Islam oppose a toute espéce de sorcellerie, n’ont pas totalement effacé le vieux fond d’animisme de ce people qui aujourd’hui encore, dans les campagnes, ou dans les couches urbaines directement issues de l’exode rural recent, a encore parfois recours au pawang – dans le cas,notamment, de maladies contre lesquelles la medicine officielle semble impuissante – voire au bomoh en vue de s’assurer pouvoir ou réussite.
Un detail montre la distance qu’il y a priori entre le viellard et les deux jeunes homes de la ville : c’est avec un fusil que Muslim est venu tuer le crocodile; Pawang ‘Kri, lui, fera confiance a une mantra et a l’encens. Mais cela – autre detail symbolique – ne les empéchera pas de s’entendre en profondeur. Car Muslim a tout de meme apporté un coq, sachant qu’un pawang peut parfois en avoir besoin.
L’antithése de Pawang ‘Kri, son antagoniste, c’est évidemment Lebai Amrah, l’officiel de la mosque, le dévot inflexible et sectaire qui a jadis fréquenté l’école coranique. Pour lui, le vieux sorcier n’est qu’un juif, un infidel, un demon qu’il a exile sur l’autre rive, chargé de tous les péchés du village. Il se croit le gardien incontesté de l’orthodoxie reliqieuse au village, mais son coeur n’est pas sans dureté. Nous ne sommes pas surs a la pin que ce soit dans un élan de sympathie et de pardon qu’il accepte le retour au village de la dépouille de son ex-rival et procéde lui-meme au ritual de l’inhumation – mais simplement peut-etre parce que tout le monde attend de lui ce geste et aussi que son fils doit épouser la fille du sorcier…
En dépit de raccourcis qui peuvent surprenrde le lecteur occidental ignorant de certaines données familiéres ici, mais comprehensible sous la plume d’un écrivain malais dans le context de la malaisie d’aujourd’hui, aucun des personages de ce roman n’est réellement schématique ou fait d’une seule piece, ni entiérement bon ni entiérement méchant, ni tout a fait perdu dans un passé en train de disparaître, ni fermé aux transformations de l’aujourd’hui. Parallélement a la Malaisie traditionelle encore fortement enracinée chez les Malais ruraux, s’est développée une Malaise modern, oeuvre au début des Occidentaux mais surtout, concrétement, des Chinois entreprenants, durs au travail et apres au gain. On peut les croire absents de ce roman, le mot ‘chinois’ n’y figure pas une seule fois, et pourtant ils y sont presents, sous-entendus, comme la partie immerge de l’iceberg.
Muslim, on l’a vu, veut montrer qu’un Malais est capable de travailler dur comme un Chinois. Lorsque Salleh, Muslim et Pawang ‘Kri, discutant de ce csandale, qui a bel et bien eu lieu et alimente encore la polémique politique – plus de deux milliards de dollars envolés a Hong Kong -, imaginent ce qu’on pourrait faire avec l’argent depose dans les banques pour le bien de ceux qui le leur ont confié, ils pensent aux pecheurs malais paevrement equips que l’ ‘intermédiare’ attend le soir sur la plage pour prendre leur poisson en paiement de leurs dettes, et suggérent d’acheter des boutiques dans le petite ville voisine pour pouvoir les céder aux Malais du village qui souhaiteraient faire du commerce. Qui sont-ils ces intermediaries, et ces boutiques, qui les posséde, sinon des Chinois?
Ce qui est remarquable en l’occurrence, c’estcette façon typiqueement malaise de procéder – comme l’usage du pantoun, de son côté, l’illustre a sa maniére – avec une delicatessen qui laisse tout entendre sans nommer personne ni exprimer ouvertement ses sentiments, delicatessen qui tend a disparaître aujourd’hui dans la vie urbaine, en ce pays où les conflits semblent toujours prets a se rallumer entre communautés ethnique qui se sentient lésées l’une économiquement, les autres politiquement.
Et l’autre rive, direz-vous?
Le vieux sorcier, Héraclite sans le savoir, ouvre le récit en murmurant au crepuscule devant le fleuve, a sa façon : panta rhei. L’autre rive, par contre, c’est ce qui, de l’autre côté, est immutable, éternel, par-dela ce monde immediate qui ne cessr de renaître pour s’effacer; ce qui, inatteignable, se situe au-dela de l’éphémére et du mouvant, du fleuve qui coule et a chaque seconde meurt a lui-meme, del’alternance du jour et de la nuit, du soleil et de la lune, du ciel libre et des nuages. Le terme malais, seberang, comme je l’ai dit plus haut, est omnipresent dans le livre, absolument et dans tous les sens, car de quelque côte du fleuve que l’on se tienne, il y aura toujours, en face, l’autre rive. Si bien que l’on se sent pris constamment dans cette ambiguîte, cette incertitude, cette nostalgie.
Banni de l’autre côte du fleuve, Pawang ‘Kri regarde sans cesse vers le village (le ravage) détesté qui depuis lors est pour lui l’autre rive. Mais aussi, pour finir, l’autre rive sera pour lui celle des morts où apaisé, son destin accompli, il abordera enfin. Ce serait encore, pour Muslim, dans cette vie, l’impossible retour a l’innocence pure et incontestée (du moins semble-t-il voir les choses ainsi) que lui a ravi la scandaleuse rumeur qui le poursuit meme loin de la capital et a quoi, en tuant le crocodile, contrairement a ce qu’il en espérait, il n’aura pas tordu le cou.
Comme dit le vieux sorcier, en des termes qui rappellent curieusement l’Evangile de saint Jean (III,4): ‘Si l’on pouvait redevenir un tout petit enfant, se glisser a nouveau hors du sein maternel, alors seulement pourrait-on etre pur comme du lin blanc.’
[François-Rene Daillie, Kuala Lumpur, Janvier 1989]. posted by NUR ALIAA ANWAR.